Rappel sur la gestion taux fixe / taux variable
Il est d’usage que la dette des entités publiques françaises soit gérée principalement selon une approche cible définie de répartition entre du taux fixe et du taux variable (généralement des taux monétaires Euribor de 1 à 12 mois). L’entité définit la proportion de taux fixe qu’elle souhaite posséder dans sa dette globale (quasi systématiquement majoritaire – entre 60 et 100% selon les constats effectués – quelques rares cas exceptionnels à 40%) et s’offre un peu de diversité avec du taux variable.
Quand on y réfléchit, cette gestion peut surprendre. Contracter un emprunt à taux fixe signifie que l’on anticipe une hausse des taux. On estime en effet que sur la durée de l’emprunt, le taux variable moyen pondéré constaté sera supérieur au taux fixe proposé. Contracter un emprunt à taux variable signifie à l’opposé que l’on anticipe une baisse des taux.
La situation peut sembler encore plus cocasse quand, dans la même campagne d’emprunt, l’entité finance une partie des besoins avec du taux fixe, une autre avec du taux variable.
La première remarque qui vient à l’esprit : pourquoi anticiper soit une hausse, soit une baisse des taux d’intérêt, mais pas une stabilité ?
Cela ressemble plus en réalité à une gestion arbitraire de répartition entre le taux fixe et le taux variable, basée sur une absence réelle d’anticipations claires. Cette gestion s’est néanmoins généralisée.
Il peut sembler étonnant que dans les index de taux variable retenus, on ne trouve que des index monétaires, c’est-à-dire un positionnement sur la partie de la courbe des taux inférieure ou égale à un an. Pourquoi aucun index de moyen terme (5 ou 7 ans par exemple) d’autant que ces derniers sont souvent plus stables ?
Pourquoi cette concentration sur les index monétaires qui peuvent subir de plein fouet les affres d’une politique monétaire ?
Pour revenir à l’anticipation de facto de hausse ou de baisse des taux monétaires pratiquée par les entités publiques, mais pas de stabilité, il existe pourtant sur le marché un produit qui répond à une anticipation de stabilité ou de légère hausse des taux : le taux fixe à barrière (classé 1B selon la charte Gissler). Celui-ci offre l’avantage pour une entité publique d’être cohérente dans ses anticipations.
En effet considérons l’exemple suivant : une entité se voit proposée : 1) un taux fixe à 3,60%, 2) un taux fixe de 3,10% si l’Euribor 3 mois est inférieur ou égal à 5,50%, l’euribor 3 mois sans marge sinon, 3) un taux variable euribor 3 mois + 0,70%. L’euribor 3 mois est par exemple à 3% au moment du choix.
Dans cet exemple le produit le plus intéressant est :
- L’euribor 3 mois + 0,70% si l’euribor 3 mois est constaté en dessous de 2,40%,
- Le taux fixe si l’euribor 3 mois est constaté au-dessus de 5,50%,
- Le taux conditionnel de 3,10% si l’euribor 3 mois est constaté entre 2,40% et 5,50%.
En termes de probabilité, l’euribor 3 mois a plus de chances d’être constaté entre 2,40% et 5,50% qu’au-dessus ou en dessous.
Il est curieux que ce produit pourtant existant, autorisé, et ayant bien fonctionné par le passé, même dans la délicate période 2008-2013 ait quasiment disparu de la circulation. Il est pourtant extrêmement simple dans sa construction. Il est probable que les banques n’osent plus le proposer pour ne pas être accusées de mettre en avant un produit structuré, le « gros mot » est lâché. Car en effet il s’agit d’un produit structuré.
Dans le cahier des charges de nombreuses consultations, il est stipulé « produits structurés exclus ». Il est attendu des établissements davantage d’explications sur ce produit pourtant simple. Les explications à fournir ne sont pourtant pas si importantes. Il convient notamment de préciser que le produit intègre une vente d’option, laquelle peut avoir un impact sur la valorisation du produit. Celle-ci est un élément clef si l’entité publique souhaite sortir du produit avant sa maturité. Toutefois dans le cas d’un taux fixe à barrière simple sur euribor, la valorisation a peu de chances de déraper. Là encore le produit se comportera soit comme un taux fixe soit comme un taux variable. Un comportement en adéquation avec les autres contrats possédés par l’entité publique.
Ce produit nous semble être le plus cohérent dans l’approche taux fixe / taux variable pratiquée par les entités publiques. Nous conseillons de l’intégrer dans le cahier des charges des consultations.
On constate une tendance croissante à pratiquer une diversification des taux variables en retenant des prêts indexés sur le Livret A. Cet index purement français, est hybride, assimilable à du monétaire, et théoriquement plus stable. Cependant compte tenu de sa composante inflation et des dérogations d’application à la formule, il est difficilement anticipable et ne peut pas être couvert par du taux fixe en cas de dérapage, contrairement à un pur index monétaire. Nous recommandons une certaine prudence par rapport à cet index. Nous rappelons en effet qu’il est toujours possible de couvrir en taux fixe un prêt indexé sur euribor. En modifiant le prêt si l’établissement accepte, en mettant en place une opération de swap sinon. Etrangement peu d’entités modifient l’indexation en cours de vie des contrats. Elles réduisent la gestion de taux à la date de contraction du prêt, bien que celui-ci court généralement sur 15 ou 20 ans. La gestion active des contrats existants est pourtant une véritable arme de gestion.
Quelle option privilégier dans le contexte actuel ?
A notre grand étonnement nous entendons ces derniers mois certaines collectivités nous dire qu’elles retiennent du taux variable parce que leur cabinet de conseil leur a indiqué que les taux d’intérêt devraient rebaisser d’ici la fin de l’année, et que les taux fixes actuels sont élevés comparés à l’historique de ces dernières années, sous-entendu trop élevés.
Cela déroge à la logique précédemment présentée de gestion par répartition définie et correspond à une véritable anticipation : une baisse des taux.
Pourquoi pas, mais il est étonnant que l’entité précise « parce que mon cabinet de conseil… ». L’entité qui a un impact sur la courbe des taux par son action est l’entité publique, pas le cabinet de conseil.
Cette anticipation est fondée sur le fait que la courbe des taux est inversée, traduisant une attente de baisse des taux courts par le marché. La BCE a initié son cycle baissier en juin, toutefois avec prudence, et songe à de nouvelles baisses si la maîtrise de l’inflation se confirme. Elle semble vouloir maintenir cette orientation, même si le contexte actuel est plus compliqué. Il conviendra de voir si ce biais est soutenable durablement. Il est trop tôt pour en juger.
Le second argument jugeant les taux fixes actuels « trop élevés » nous interpelle davantage : ce n’est pas parce qu’ils sont plus élevés que l’historique récent qu’ils ne peuvent pas continuer de croître. Présenté comme cela, ce n’est pas sans rappeler l’argumentaire de nombreux produits structurés, fondé sur des observations historiques comme s’il fallait en tirer une vérité pour l’avenir.
La hausse récente des taux longs nous semble cohérente avec le cycle de reflation dans lequel nous sommes. Nombreux prédisent depuis plus d’un an un ralentissement économique, non avéré à ce jour. Une accélération de la croissance dans les années à venir est possible.
De surcroît la tendance observée sur l’endettement public de la France ne laisse rien présager de bon. Une nouvelle dégradation par les agences de notation semble inévitable. Une « tutelle » partielle relative de Bruxelles sur les dépenses publiques françaises pour obliger la France à rentrer dans les rangs n’est hélas pas non plus à exclure si la tendance n’est pas inversée. Rappelons le à toutes fins utiles, contrairement au Royaume-Uni ou à l’Italie, les structures même du financement global de l’économie française ne lui permettraient pas de vivre sans l’Europe, sans l’euro. Dans un contexte politique et social tendu, où près des deux tiers des français attendent des « cadeaux » de l’Etat à en croire le résultat des urnes, les arbitrages ne vont pas être simples. Le spread (écart) entre les taux d’emprunts des états français et allemands s’est accru de 0,21% (désormais à 0,71%) depuis la fin du mois d’avril.
Même si les taux fixes peuvent sembler élevés eu égard à ces dernières années, nous conseillons de ne pas déroger à la règle de répartition interne définie entre taux fixe et taux variable. En tout état de cause pas selon l’argument que les taux fixes actuels sont trop élevés. Nous n’espérons pas que ce sera le cas, mais la France pourrait connaître des lendemains moins glorieux, et les échelles de valeur pourraient changer.
Conclusion
Nous recommandons de bien définir la répartition taux fixe / taux variable souhaitée et d’effectuer des stress tests sur la dette pour s’assurer que sa gestion ne sera pas un souci dans les années à venir quoi qu’il arrive. Nous n’anticipons pas spécialement de catastrophe et conservons une approche positive, mais ce principe de prudence est gage de sérénité pour l’avenir.
Le contexte devrait rester favorable pour les emprunts des entités publiques, entre les liquidités abondantes à placer des investisseurs et la gestion rigoureuse effectuée par les collectivités territoriales contrairement à l’Etat français. Il pourrait être bienvenue d’inclure dans le cahier des charges des consultations des taux fixes à barrière simple sur Euribor (classification 1B), peut-être plus adaptés à l’environnement actuel.