Le retour attendu de l’inflation

L’inflation est de retour. C’est un grand soulagement pour les banques centrales. Après l’avoir combattue pendant deux décennies, elles l’espéraient depuis quelques années. Le spectre de la déflation tant redoutée s’éloigne enfin. Le cycle vertueux de la reflation semble s’installer. Cela devrait augurer une ère de croissance, de développement, d’augmentation des bénéfices, d’enrichissement. Une ère logiquement de désendettement progressif. A condition de ne pas reproduire les erreurs du passé !

Le covid aura finalement permis par ses effets indirects d’amorcer le mouvement. Toute la question est maintenant de savoir si le mouvement est conjoncturel ou structurel.

L’accélération de l’inflation depuis quelques mois est nette. Elle s’établit actuellement à 6,8% aux Etats-Unis (niveau le plus élevé depuis 1982), à un peu plus de 5% en zone Euro (contre 1,50% il y a un an). Elle est toutefois disparate en fonction des secteurs. Elle est forte dans les énergies (le prix du baril de pétrole a progressé de 40% sur un an, celui du gaz de 50%), les matières premières (le prix du cuivre, souvent considéré comme un indicateur clé de l’activité économique réelle, a progressé de 25% pour la deuxième année consécutive), les denrées agricoles, et tout ce qui en découle directement (transports maritimes notamment). Le mouvement commence cependant à se ralentir, à mesure que les problèmes d’approvisionnement des entreprises s’estompent.

Une autre inflation émerge : la hausse des salaires. Conséquence du plein emploi aux Etats-Unis, les entreprises américaines font face à des difficultés pour retenir les talents. Ce phénomène se constate également dans une moindre mesure en Europe. Cela risque d’aggraver la différenciation entre les secteurs économiques dynamiques et les autres. Car si de nombreuses entreprises prévoient d’augmenter les salaires cette année, toutes ne peuvent pas se le permettre.

L’inflation n’inquiète que peu les marchés

La croissance est au rendez-vous. Aux Etats-Unis elle a été de 5,6% en 2021 et est attendue à 3,7% en 2022 et 2,4% en 2023 (source OCDE). En France elle a été de 6,8% en 2021, et est attendue à 4,2% en 2022 et 2,1% en 2023 (source OCDE).

Aucune inquiétude ne se fait ressentir pour autant sur les taux longs. Loin de l’équation théorique taux d’intérêt long terme = taux de croissance + taux d’inflation, le taux des emprunts d’Etat à 10 ans aux Etats-Unis n’a progressé que de 0,30% sur un an (1,77% actuellement). Il a davantage progressé en France en progressant de 0,80% sur un an (0,34% actuellement) et dans une moindre mesure en Allemagne, 0,60% sur un an (bien qu’il demeure toujours en territoire négatif à -0,04% actuellement).

Dans ce contexte de taux d’intérêts bas, le prix des actifs a continué de se renchérir comme anticipé. L’immobilier a poursuivi son ascension et le CAC 40 a gagné plus de 1 200 points sur un an (7 236 points actuellement).

La Fed entre dans un cycle haussier des taux d’intérêts  

Une fois n’est pas coutume, après des tergiversations tout au long du dernier trimestre, la Banque d’Angleterre a ouvert le bal en remontant ses taux directeurs en décembre.

La Fed a surpris les marchés la semaine dernière en annonçant qu’elle allait avancer de trois mois de juin à mars sa première hausse. Désormais 3 hausses de 0,25% sont attendues en 2022 et le marché en anticipe même une quatrième. Elle planifie de diminuer corrélativement son bilan.

La réduction attendue cette année du déficit budgétaire américain, de 12% à 4% du PIB, après le plan de relance de 1 900 Md$ de 2021, est en effet propice pour réduire la taille du bilan de la Fed. En 2017/2018 cette dernière l’avait réduit au rythme mensuel de 32 Md$. Elle pourrait recommencer à l’identique et monter en puissance pour atteindre environ 60 Md$ mensuel en 2023.

Le « tapering » annoncé est en réalité peu de choses eu égard au niveau actuel de la croissance de 5,6% en 2021. Il sera de toute évidence sans impact sur cette dernière. Il vise plus la reconstitution de marges de manœuvre pour l’avenir. L’excès d’épargne engendré par les mesures de relance antérieures et les confinements devraient soutenir la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.

Il n’y a d’ailleurs pas de réelle inquiétude à ce sujet. L’incertitude a reculé en 2021 : le prix de l’or a baissé.

La Chine devrait rebondir après une année compliquée

Les investisseurs surveillent également de près ce qui se passe en Chine. Ils redoutent que la crise chinoise vienne ralentir la croissance européenne.

La Chine a freiné net la distribution du crédit en 2021 pour éviter les spéculations. Les prix de l’immobilier avaient atteint des sommets : le rapport prix / capacité des ménages avait atteint 40 contre 20 à Paris. En conséquence le marché chinois a perdu 1 000 Md$ de valorisation cette année entre les valeurs immobilières et les valeurs technologiques. Elle relance désormais la machine en augmentant les prestations sociales. En effet le taux d’épargne des ménages est très élevé à 36% contre 8% aux Etats-Unis et 13% en Europe. Rassurer les ménages devrait permettre d’orienter une partie de cette épargne vers la consommation.

Les pays développés et notamment l’Europe attendent toujours leur relais de croissance

Il est assez évident que nous sommes loin d’une surchauffe économique. 2021 est une année exceptionnelle, non représentative, car l’année du rebond post-covid. Les prévisions économiques, rappelées précédemment, anticipent une année 2022 de croissance soutenue bien que moins vigoureuse qu’en 2021, et une année 2023 en décélération pour revenir plus en adéquation avec la croissance potentielle des pays développés.

Les problèmes de fond des économies développées relatés dans nos notes précédentes ne sont pas résolus.

Le virage de la transition écologique est amorcé. Des trilliards de dollars sont investis partout dans le monde. Mais le relais de croissance n’est encore que partiellement là. Il finira probablement par porter ses fruits. Mais à court terme il a surtout pour conséquence de renchérir le prix des matières premières et notamment du carbone, et d’augmenter les coûts généraux des démarches vertes.

La révolution digitale est de son côté bien là et permet à de nombreuses entreprises de retrouver le chemin durable de bénéfices confortables. Elle constitue une révolution technologique majeure qui, couplée avec le plein emploi, si les économies développées y parviennent, pourraient permettre de réaliser des gains de productivité substantiels et de maintenir des salaires élevés. Cela permettrait au schéma traditionnel de fonctionner encore quelques temps : les revenus du travail des ménages suffiraient à faire face à leurs dépenses. Mais si le plein emploi est atteint aux Etats-Unis et est proche de l’être en Europe, il demande à être confirmé sur le vieux continent. A défaut, cette révolution technologique ne sera pas suffisante à elle seule pour endiguer la crise des débouchés (voir note – Pourquoi les taux d’intérêt vont rester durablement bas du 6 janvier 2020).

Ainsi une différentiation sectorielle continue de s’opérer entre les secteurs économiques traditionnels et les nouveaux marchés. Sur les marchés boursiers les valeurs traditionnelles impactées peinent à se redresser voir continuent de plonger tandis que les valeurs des secteurs d’avenir poursuivent leur envolée.

La BCE, imperturbable, maintient son discours

Dans cet environnement et, en dépit des pressions, la BCE maintient son discours. Elle continue ses communiqués de presse clairs (« forward guidance »). Elle déclare qu’aucune remontée des taux directeurs n’aura lieu avant une stabilisation de son bilan, c’est-à-dire probablement avant la fin de son programme d’achats d’actifs.

Ce ne sera clairement pas pour 2022, ni même vraisemblablement pour 2023. La situation en Europe est en effet différente des Etats-Unis. Compte tenu des mesures de soutien annoncées par les différents états, les déficits publics vont perdurer. Une remontée des taux serait malvenue. La BCE n’hésitera pas à intervenir si nécessaire sur les marchés pour endiguer une éventuelle remontée spéculative des taux longs.

Une remontée des taux dépendra ensuite de l’évolution de l’inflation sur le long terme. Il faudra que celle-ci se maintienne durablement au-delà de 2% pour commencer à y songer. Il faudra également que la croissance se maintienne sur un rythme soutenu, ce qui est loin d’être gagné. La BCE ne prendra aucun risque de freiner le retour à une croissance durable tant attendue. N’en déplaise aux banques qui attendent avec impatience une repentification indispensable pour rentabiliser leur métier de transformation.

Les actifs vont continuer de se renchérir

Ce contexte de taux bas demeure propice aux investissements financiers et immobiliers. Il est probable que le CAC 40 atteigne rapidement cette année les 7 500 points voir se rapproche des 8 000. Une partie des gains enregistrés sur les actifs financiers sera sûrement réinvesti en actifs immobiliers.

Un marché des emprunts toujours favorable pour les entités publiques

Les taux longs en zone Euro n’ont pas de raison de remonter maintenant. Cependant au gré des publications des chiffres de l’inflation et à mesure que la Fed va avancer dans son calendrier, des craintes ressurgiront et des inflexions à la hausse pourront être constatées. Le taux allemand à 10 ans ne tardera pas à repasser en territoire positif. Des fluctuations sont à prévoir. Elles devraient toutefois demeurer limitées en amplitude.

Il ne serait pas illogique que les fluctuations du taux souverain français se fassent en 2022 autour d’une moyenne centrée à 0,45%-0,50% et en Allemagne autour de 0,10%-0,15%.

Cela signifie en moyenne sur l’année une légère remontée des taux fixes offerts aux entités publiques, mais des niveaux qui demeurent historiquement très bas.

Comme toujours il est probable que les taux fixes proposés par les établissements bancaires vont connaître une légère remontée en ce début d’année avant que ne soit pratiquée la désormais traditionnelle braderie de fin d’année, déconnectée des coûts de refinancement des prêteurs sur les marchés. Celle-ci dépend souvent du retard accumulé par les différents réseaux bancaires par rapport à leurs objectifs commerciaux.

Les taux courts devraient demeurer stables comme l’année dernière. L’Euribor 3 mois s’établit actuellement à -0,57%, l’Estr à -0,579%. Cela milite pour une conservation d’encours à taux variable dans la dette.

Ainsi une légère repentification de la courbe devrait être constatée.

Elle constitue indéniablement une opportunité pour les entités publiques de se créer de la ressource à taux proche de zéro voire négatif. En effet les fluctuations devraient être mises à profit pour swapper des encours à taux fixe en taux variable dès qu’un excès de repentification est constaté. Il n’est pas inutile de rappeler que contrairement à la majorité des emprunts, les taux variables payés par l’intermédiaire d’un swap ne sont pas flooré à 0%. De plus le taux retenu (index + marge) n’est lui non plus pas flooré à 0%. Il est ainsi possible grâce aux swaps de profiter du niveau des Euribor négatifs. Les taux fixes anormalement bas conclus lors des prêts de la fin d’année dernière offrent déjà cette possibilité. De manière plus générale les taux fixes agressifs, déconnectés des marchés que proposent parfois certains établissements bancaires, sont une opportunité de se créer une ressource à taux proche de 0% ou négatif. La limite de cet exercice est qu’il ne doit être pratiqué de façon opportuniste que sur un montant de prêt marginal dans la dette. Car dans l’absolu les niveaux de taux fixes actuels demeurent historiquement bas.

Conclusion

En résumé, l’entrée en reflation de l’économie mondiale est confirmée. C’est une bonne nouvelle. Le spectre de la déflation s’éloigne. Mais la vigilance demeure. Les pressions salariales devraient soutenir l’inflation quelques temps encore. Au-delà l’inflation reste à confirmer. La croissance connaît le rebond post-covid attendu. Mais qu’en sera-t-il au-delà de 2023 ? L’économie verte ne constitue pas encore en Europe, contrairement à une partie de l’Asie, le relais attendu malgré les sommes considérables injectées. A ce jour il n’y a pas matière à remonter les taux directeurs en zone Euro avant un certain temps. Le contexte est favorable aux investissements financiers et immobiliers.