Les marchés ont obtenu ce qu’ils voulaient, et maintenant ?
Tout au long de l’année 2022 les marchés ont mis la pression, au vu des statistiques de l’inflation, pour que les banques centrales remontent leurs taux directeurs. Ils ont eu gain de cause.
La Fed a procédé à 7 hausses de son taux directeur depuis le mois de mars, pour l’établir entre 4,25% et 4,50%. Il était auparavant entre 0% et 0,25%. Une hausse de cette ampleur ne s’était pas produite depuis les années 2005-2006. Les 5% sont attendus pour le premier semestre 2023, bien qu’il soit évoqué en parallèle un risque que l’économie américaine entre en récession. La croissance du PIB réel est en effet attendue à 0,25% seulement cette année. Un nouveau cycle baissier du taux directeur de la Fed est du reste déjà anticipé à compter de 2024 pour relancer l’économie. La Fed a en effet des objectifs en termes de croissance économique et d’emploi (taux de chômage attendu à 4,6% en 2023), contrairement à la BCE dont la mission principale est de maintenir l’inflation des prix à un niveau considéré comme optimum proche de 2%.
Cette dernière a été contrainte de suivre le mouvement, même si elle est restée plus raisonnable. Son taux directeur est passé de -0,50% à +2% (+250 points). C’est le premier mouvement de cette ampleur depuis la mise en place de l’euro, la hausse des années 1999-2000 n’ayant été que de 175 points. L’inflation en zone Euro a été de 8,4% en 2022 et est attendue à 6,3% en 2023, 3,4% en 2024, et 2,3% en 2025. La BCE ne devrait donc pas rebaisser son taux directeur de sitôt. La question se pose d’une nouvelle hausse de 0,50%. Elle est anticipée par les marchés courant de l’année : l’Euribor 3 mois s’établit actuellement à 2,39% et l’Euribor 12 mois à 3,30%. Il est à noter que les marchés anticipent ensuite une stagnation durable et à terme un retour potentiel à un cycle baissier. La courbe des taux est en effet inversée au-delà de 2 ans : les CMS 2, 3, 5, 10 et 30 ans s’établissent aujourd’hui respectivement à 3,22%, 2,99, 2,76%, 2,64%, 2,21%.
Cette hausse supplémentaire de 0,50% du taux directeur de la BCE ne nous semble toutefois pas acquise à ce jour. On constate en effet, d’une part, déjà une décélération de l’inflation et notamment de l’inflation importée (surtout sur l’énergie), d’autre part, une reprise de l’euro. La parité euro/dollar était descendue de 1 EUR = 1,135 USD début 2022 à 1 EUR = 0,954 USD en septembre dernier. Elle est revenue à 1 EUR = 1,083 USD ce qui réduit le risque que nos actifs soient rachetés massivement par des investisseurs américains. Cela réduit également potentiellement l’inflation importée, les Etats-Unis étant devenus le premier exportateur mondial de gaz. Une nouvelle défiance envers l’euro serait par contre de nature à précipiter la BCE vers un nouveau cycle haussier. La force d’une devise réside dans la confiance que lui accordent les investisseurs.
Il n’est pas impossible que la BCE procède malgré tout à un resserrement, ne serait-ce que pour se redonner des marges de manœuvre potentielles à la baisse pour les années à venir.
Bien que cela ne soit pas directement dans ses objectifs, elle devra prendre en compte deux éléments dans ses considérations : 1) elle est entrée dans un cycle salutaire de deleverage de son bilan et doit donc rassurer les marchés à cet effet (lesquels sont demandeurs d’une hausse supplémentaire) 2) les déficits publics persistants de certains états européens, déjà fortement endettés, pourraient entraîner un surcoût du service de la dette insoutenable pour ces derniers.
Il est enfin utile de préciser à ce stade que, s’il est attendu cette année une entrée en récession de l’économie américaine, rien n’est moins sûr pour l’économie européenne. Les avis divergent à ce sujet et les marchés commencent l’année euphoriquement. Nous y reviendrons un peu plus loin.
La perspective d’une entrée en récession de l’économie américaine n’est pas de nature à freiner la Fed dans son calendrier pour autant : l’économie américaine rebondit généralement vite et rebondira avant les prochaines élections présidentielles.
En zone Euro les entrées en récession sont plus compliquées à gérer. Elles créent souvent des aubaines pour les entreprises qui attendent des occasions de se livrer à des licenciements massifs. Dans le contexte actuel de tensions sociales quasi généralisé au sein de la zone Euro, cela serait mal venu.
Même si cela ne figure pas dans ses objectifs, la BCE demeurera prudente et veillera à ne pas casser la croissance. Le maintien de taux d’intérêts sur des taux qui restent historiquement bas sera plutôt de nature à stimuler l’investissement.
Point sur la dette publique française
A la fin du 3ème trimestre 2022, la dette publique française brute au sens de Maastricht s’établit à 2 956,8 Mds€ (source Insee). Elle a progressé de 115,9 Mds€ sur un an glissant. Elle représente 113,7% du PIB. Ce chiffre est cependant en baisse sur un an glissant (115,6% à la fin du 3ème trimestre 2021) en raison de la croissance importante du PIB en 2022 (effet base).
Dans les détails l’endettement de l’Etat a progressé de 114,5 Mds€ à 2 345 Mds€, celui des organismes d’administration centrale à dette publique a diminué de 4,1 Mds€ à 70,4 Mds€, celui des administrations de sécurité sociale est demeuré stable -0.1 Mds€ à 299,8 Mds€.
La dette des administrations publiques locales a progressé plus raisonnablement de 5,7 Mds€ à 241,7 Mds€. Il est à noter que sur le seul 3ème trimestre elle a même diminué de 6,2 Mds€ principalement en raison du désendettement des collectivités locales (5,7 Mds€ pour les communes, 2,2 Mds€ pour les régions, 1,1 Mds€ pour les départements). Les organismes d’administration locale se sont également désendettés sur le 3ème trimestre (ex Ile-de-France Mobilité de 0,5 Mds€).
Il est à souligner que la dette publique française nette a augmenté de 142,8 Mds€ sur un an glissant à 2 651,8 Mds€, les différentes administrations ayant puisé dans leur trésorerie. En détails celle de l’Etat a progressé de 137 Mds€, celle des organismes d’administration centrale à dette publique a diminué de 2,2 Mds€ à 43,7 Mds€, celle des administrations de sécurité sociale a progressé de 2,8 Mds€ à 213,6 Mds€, et celle des administrations publiques locales de 5,2 Mds€ à 227,2 Mds€.
Si un ralentissement économique venait à se confirmer et qu’une entrée en récession se produisait, la situation pourrait se tendre sur la dette publique. En effet une contraction du PIB pourrait la précipiter mécaniquement vers le ratio de 120% dit ratio de la mort. Il ne faudrait pas qu’un tel scénario se présente à un moment où les investisseurs deviennent frileux sur les marchés et que les liquidités se font rare. Cela pourrait engendrer une envolée des taux longs, renchérir conséquemment le service de la dette publique, et, dans un contexte de tensions sociales persistantes où des économies budgétaires sont impossibles, déclencher un accroissement insoutenable de la dette publique. La France des solidarités serait soumise à dure épreuve. Les français affichent en effet le paradoxe d’être attachés à leur système unique au monde de solidarité et multiplient en même temps les revendications individuelles. Si les deux ne sont pas incompatibles quand les caisses de l’Etat sont remplies, quelle est la cohérence quand elles sont vides ? Pour le moment, la paix sociale est achetée avec un Livret A qui va passer à 3% au 1er février (au détriment des bailleurs sociaux sur qui les contraintes se multiplient – rénovations et mise aux nouvelles normes énergétiques) et un LEP à 6,10%.
Il est regrettable que la France, contrairement à de nombreux autres pays européens, n’ait pas pu profiter de l’époque bénie des taux d’intérêts négatifs pour se désendetter. Il est quand même plus simple de se désendetter quand le service de la dette est nul et qu’il faut se concentrer uniquement sur le remboursement du capital emprunté. Avec une OAT 10 ans désormais à 2,49%, l’équation devient plus complexe. La France se serait passée volontiers de ce casse-tête.
Le marché des emprunts pour les entités publiques locales ne devrait pas trop évoluer cette année
Comme on vient de le voir, les collectivités territoriales ont été globalement vertueuses, comparées à l’administration centrale.
La hausse des taux longs n’a pas eu pour effet de réduire l’offre de financement, mais au contraire de renforcer l’intérêt des investisseurs.
Le problème sur l’année passée a surtout été technique : la hausse rapide des taux d’intérêts a créé une problématique de taux d’usure, qui a obligé une partie des établissements bancaires à ne soumettre que des offres de financement à taux variable. Ce problème ne devrait pas se reproduire cette année, le cycle haussier du taux directeur touchant à sa fin.
Ainsi le marché du financement des entités publiques devrait fonctionner cette année de façon fluide, sur des niveaux certes plus élevés que ces dernières années, mais qui demeurent historiquement bas.
Si des épisodes de tension devaient toutefois voir le jour sur les taux fixes proposés, il serait opportun de contracter de la dette à taux variable. Le potentiel de hausse des euribor est limité. Les emprunts contractés étant généralement des emprunts de longue durée, il n’est pas impossible que les taux courts rebaissent dans quelques années. Certes nous sommes en cycle de reflation mais la croissance potentielle demeure faible à ce jour, tant que le boom de l’économie verte ne crée pas une réelle révolution technologique. L’émergence de cette révolution espérée est à suivre, car les montants investis à travers le monde pour la transition énergétique dépassent par 6 fois les montants du plan Marshall qui permit les 30 glorieuses après la seconde guerre mondiale.
La courbe des taux actuelle étant croissante sur son segment court et inversée sur le reste, elle n’offrira plus contrairement à l’année dernière des opportunités de mise en place de swaps de sensibilisation. A l’inverse elle offrira peut-être des opportunités de swap de cristallisation de taux fixe, en fonction des fluctuations qui ne manqueront de se produire sur les taux longs. Les bailleurs sociaux dont la dette est majoritairement exposée au taux du Livret A auront vraisemblablement des opportunités de figer des taux à des niveaux inférieurs à ceux du Livret A.
Les taux d’emprunts immobiliers des particuliers devraient se stabiliser
En conséquence d’une courbe des taux qui devrait se stabiliser et d’un coût de refinancement des banques qui devrait s’améliorer, les banques retrouvant des couleurs sur les marges de leur activité traditionnelle de transformation, les taux d’intérêts proposés aux particuliers pour contracter un prêt immobilier ne devraient guère évoluer cette année.
Cela est plutôt bienvenue pour un marché de l’immobilier qui n’entre pas dans ses meilleures années. Historiquement les périodes de reflation ne sont pas favorables à l’immobilier. Celle-ci ne devrait pas échapper à la règle.
Compte tenu de la hausse des prix quasi continue depuis 25 ans sur l’immobilier résidentiel, la prime de risque, avec un taux d’intérêt sans risque proche de 2,50%, est nulle voire négative sur certains biens dans les grandes métropoles. Cela est théoriquement un signal de vente pour un investisseur avisé.
Le renforcement des contraintes imposées par les classes énergétiques à respecter par les nouveaux DPE ne va pas arranger les choses. Le marché immobilier résidentiel pourrait bien entrer dans une période de glissement des prix.
L’immobilier d’entreprise au sens large devrait mieux s’en sortir. Les primes de risques sont un peu plus élevées, les baux sont signés pour des durées longues, et la rareté de l’offre aux normes devrait être un facteur de soutien des prix.
Il conviendra globalement de demeurer vigilant sur cette classe d’actif.
Les marges bénéficiaires des entreprises devraient se réduire mais demeurer élevées
Les entreprises ont dans l’ensemble profité du contexte inflationniste en 2022 pour augmenter leurs tarifs. Certaines en simple réplique de la hausse de leurs coûts, d’autres totalement opportunément. Cela soulage les entreprises qui ne sont pas positionnées sur un marché où règne une certaine élasticité des prix.
Les entreprises françaises sont ainsi en bonne santé : les dividendes sont en hausse et les rachats d’actions, pratique qui se généralise, accroissent mécaniquement les valorisations par effet dilutif.
Une diminution des bénéfices attendus est cependant probable cette année, après l’accélération de 2022, dans un contexte général de ralentissement économique. Elle ne signifie pas pour autant un ajustement à la baisse des cours. Le marché s’est fait peur à l’automne dernier en anticipant une entrée immédiate en récession. La correction des cours a été forte et un réajustement a lieu depuis le mois de décembre. Aujourd’hui les actions américaines demeurent un peu chères avec un PER (Price Earning Ratio) à 17* les bénéfices eu égard à une moyenne sur 20 ans à 15,7*. Les actions en zone euro sont en revanche revenues légèrement sous la moyenne des 20 dernières années (12,8*) à 11,9 (12,3 pour les actions françaises pour une moyenne sur 20 ans de 12,8* également).
En effet si les prix du gaz sont revenus depuis quelques semaines quasiment aux niveaux de 2021, la crise énergétique n’est pas réglée pour autant. L’inflation sur les matières premières diminue. Mais la Chine se déconfine progressivement et un retour à une croissance un peu plus soutenue est attendue (entre 5 et 6%, après 4% en 2022), ce qui pourrait créer de nouvelles tensions sur les matières premières.
Les entreprises qui le peuvent (marchés élastiques) vont augmenter de nouveau leurs tarifs pour maintenir leurs marges, les autres verront ces dernières s’éroder et leurs bénéfices diminuer : la hausse des capex (décarbonation, digitalisation, re-shoring…) cumulée à la hausse du BFR (absence de stocks disponibles après le déstockage de 2022) signifiera une augmentation des capitaux employés et une diminution des profits (hausse du coût de l’énergie, des salaires, des impôts, du coût du refinancement…), soit donc une baisse des marges qui ne peut être compensée que par une augmentation des prix quand c’est possible.
Les bénéfices des entreprises vont donc dans l’ensemble diminuer en 2023 mais ils sont sur des plus hauts historiques. La diminution des bénéfices anticipés ne devrait donc pas être de nature à déclencher une correction boursière. Le marché rattrape pour le moment ses excès de correction de l’automne dernier.
La situation est un peu différente sur les marchés américains qui demeurent chers. La prudence reste de mise.
Globalement les primes de risque restent positives sur les marchés actions et c’est un facteur de soutien. Historiquement les actions sont recherchées pendant les cycles de reflation. Il y a peu de chance qu’elles dérogent à la règle cette fois-ci encore.
Par l’absurde on pourrait se demander sur quelle autre classe d’actifs les investisseurs pourraient se positionner avec un taux de l’intérêt sans risque à 2,50% : pas l’immobilier comme nous l’avons vu, pas le marché obligataire à l’exception toutefois du marché high yield et du non coté (en demeurant sélectif), potentiellement les matières premières qui pourraient être dopées avec la réouverture de la Chine. Cette dernière demeure toujours intrinsèquement confrontée à un vieillissement de sa population qui ne permettra pas de retrouver durablement la croissance des années passées. L’or progresse depuis quelques semaines (l’once est aujourd’hui à 1 926$ après être descendue à 1 625$) mais son potentiel est limité en l’absence de progression de l’aversion au risque (l’indice VIX reste bas à 19,85).
L’année 2022 a dérouté les investisseurs car, pour la première fois depuis longtemps, les marchés obligataires et boursiers ont reculé simultanément. Les gestions profilées mises en place au sein des gestions pilotées par les grands établissements financiers ont été mises à mal et ne devraient guère offrir de meilleurs résultats en 2023.
Ne rien faire est l’assurance de perdre de l’argent avec une inflation qui va demeurer durablement au-dessus de 2%.
Les actions sont la seule vraie classe d’actifs susceptible de générer une valeur supérieure à celle de l’inflation. Mais, au même titre que ces dernières années et pour les mêmes raisons (voir nos notes précédentes), il convient d’être prudent et d’investir avec différenciation. Un retour à l’analyse des fondamentaux s’impose. L’année 2022 a mis en évidence des bulles et une rationalisation est en cours, par exemple sur les valeurs technologiques (robotique, intelligence artificielle…) et les biotechs. Des entreprises se sont vendues ou ont été valorisées à prix d’or alors qu’elles ne réalisent pas de bénéfices. Le parcours boursier de Tesla est éloquent à ce sujet. Réalisme et pragmatisme seront les maîtres mots en 2023.
Conclusion
La situation n’a pas changé depuis notre dernière note. Les hausses de taux directeur réclamées par les marchés ont eu lieu, les cycles de resserrement monétaires touchent à leur fin, et le ralentissement économique est avéré. Les Etats-Unis vont vraisemblablement entrer en récession avant la fin de l’année et la Fed travaille déjà à l’après. En zone euro les marges bénéficiaires des entreprises vont se contracter mais demeurer confortables. La croissance devrait se ralentir mais demeurer positive.
Après la correction boursière de l’automne dernier, les actions sont bon marché en zone euro, un peu chères aux Etats-Unis. Les bourses devraient progresser cette année, toutefois de façon différenciée entre les valeurs à potentiel d’entreprises positionnées sur des marchés en croissance ou à élasticité de prix, et les autres. La situation est plus tendue sur les autres classes d’actifs, notamment l’immobilier. Seul l’immobilier d’entreprise devrait pouvoir tirer son épingle du jeu.
Le contexte est globalement compliqué et il convient de demeurer prudent. Divers épisodes a priori sous contrôle pourraient facilement perturber l’exercice (tensions sociales, nouvelle défiance envers l’euro, désintérêt des investisseurs pour la dette souveraine des pays peu vertueux…).
Le financement des entités publiques locales ne devrait pas poser de souci particulier cette année, surtout si le mouvement de désendettement initié à l’automne perdure.